POUR VISIONNER LA BANDE ANNONCE, IL FAUT CLIQUER SUR YOU TUBE DANS LE COIN…
Je vais vous raconter un film que j’ai vu sur le câble avant-hier. Certains passages sont difficiles à voir et peuvent choquer les âmes sensibles. Surtout celle des aristocrates de la cour impériale Napoléonienne qui se vautrent dans la luxure et qui en demandent toujours plus à notre pauvre Vénus qu’elle fond en larmes ce qui causera sa perte et la mènera dans les bordels pour la fin de sa vie.Ils se permettent tout face à cette race inférieure qui est pour eux plus près du singe mandrill que de l’homme.. Le film raconte donc l’histoire de Sawtchee, la vénus noire qui a vécu au 19° siècle. Un peu d’histoire pour commencer, puis le film.Je me suis aidée de certaines critiques de cinéma et d’encyclopédies pour l’histoire, et de recherches sur le Net pour les images.
UN PEU D’HISTOIRE
Esclave avec ses frères et sœurs dans un kraal voisinant la ferme de son
baas, (maître, patron) l’Afrikaaner Peter Caesar puis en 1807 de son
frère Hendryck Caesar, elle est emmenée par ce dernier en Europe, à
Londres, en 1810 où on la baptise du nom de Saartjie (petite Sarah en
Afrikaneer) Baartman avec l’autorisation spéciale de l’évêque de Chester
(Un kraal (ou Kral en afrikaans, du portugais curral pour
« enclos à bétail »)
était au départ un hameau de forme circulaire avec une structure
sociale stricte. Les kraals existaient principalement en Afrique australe.
Ils étaient généralement entourés d’un rempart d’épines en forme de
palissade. De nos jours, le terme kraal ne désigne plus que l’enclos à
bétail qui se trouvait autrefois au milieu du hameau. On le trouve
néanmoins parfois encore dans les noms de lieux en Afrique du Sud.
)
Elle y raconte qu’elle a été mariée à un Khoïkhoï dont elle a eu deux
enfants. Vendue, elle devient phénomène de
foire de par sa morphologie
hors du commun : hypertrophie des hanches et
des fesses (stéatopygie),
organes génitaux protubérants
(macronymphie). La stéatopygie est
presque toujours plus marquée chez les femmes (répartition gynoïde des
graisses, prédominant sur les fesses et les cuisses) que chez les hommes
(répartition androïde des graisses, prédominant sur l’abdomen) et est
considérée par les Khoisans comme un trait de beauté.
Elle est exposée
en Angleterre (l’entreprise d’exposition est menée par le chirurgien de
marine Alexander Dunlop qui a convaincu son ami Hendryck Caesar de s’y
associer), en Hollande puis en France en 1814 par un certain Taylor puis
le montreur d’animaux exotiques Réaux qui fait payer 3 francs pour la
voir et plus pour la toucher.
Elle erre de foire en cirque en Angleterre,
en Hollande, sous le surnom de Vénus hottentote avant d’être amenée
à Paris où elle devient un objet d’exposition des music-halls et des
salons de la haute bourgeoisie. Sawtche termine sa vie dans les bordels
et la misère le 29 décembre 1815 à 26 ans.
Elle deviendra par la suite objet sexuel (prostitution, soirées privées).
Victor Hugo y fait allusion dans Les Misérables en 1862 : « Paris est bon enfant. Il accepte
royalement tout ; il n’est pas difficile en fait de Vénus ; sa callipyge est hottentote ; pourvu
qu’il rie, il amnistie ; la laideur l’égaye, la difformité le désopile, le vice le distrait […] »
Elle tombera petit à petit dans l’alcoolisme.
En mars 1815, le professeur de zoologie et administrateur du Muséum national d’histoire
naturelle de France, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, demande à pouvoir examiner « les
caractères distinctifs de cette race curieuse ». Après le public des foires, c’est devant les yeux
de scientifiques et de peintres qu’elle est exposée nue, transformée en objet d’étude. Peu de
temps plus tard, le rapport qui en résulte compare son visage à celui d’un orang-outang, et
ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.
Georges Cuvier, zoologue et anatomiste comparatif, estime que Saartjie est la preuve de
l’infériorité de certaines races. Peu après sa mort, il entreprend de la disséquer au nom du
progrès des connaissances humaines. Il réalise un moulage complet du corps et prélève le
squelette ainsi que le cerveau et les organes génitaux qu’il place dans des bocaux de formol.
En 1817, il expose le résultat de son travail devant l’Académie nationale de médecine. On
estime de nos jours que ce rapport témoigne des théories racistes et des préjugés de l’époque
: « Aujourd’hui que l’on distingue les races par le squelette de la tête, et que l’on possède tant
de corps d’anciens Égyptiens momifiés, il est aisé de s’assurer que quel qu’ait pu être leur
teint, ils appartenaient à la même race d’hommes que nous; qu’ils avoient le crâne et le
cerveau aussi volumineux ; qu’en un mot ils ne faisaient pas exception à cette loi cruelle qui
semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé
»1,2. Cuvier décrit du reste Mme Baartman comme une dame sauvagesse de qualité, parlant
trois langues et bonne musicienne.(D’ailleurs dans un des salons on voit notre soi-disant
sauvage reproduire avec son instrument africain des sons émis par le violoniste de
l’orchestre, à leur stupéfaction, comme on la voit aussi chanter une berceuse de son pays
accompagnée par ce même instrument…)
Le moulage de plâtre et le squelette sont exposés au musée de l’Homme à Paris. Ce n’est
qu’en 1974 qu’ils furent retirés de la galerie d’anthropologie physique et relégués finalement
dans les réserves du musée (le moulage étant encore resté exposé durant deux ans dans la
salle de Préhistoire).
En 1994, quelque temps après la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les Khoïkhoï font appel
à Nelson Mandela pour demander la restitution des restes de Saartjie afin de pouvoir lui
offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Cette demande se heurte à un refus des autorités
et du monde scientifique français au nom du patrimoine inaliénable de l’Etat et de la science.
Ce n’est qu’en 2002, après le vote d’une loi spéciale que la France restitua la dépouille à
l’Afrique du Sud ,( Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de
la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, NOR: RECX0205354L).
Le 9 mai 2002, en présence du président Thabo Mbeki, de plusieurs
ministres et des chefs de la communauté Khoikhoï, la dépouille, après
avoir été purifiée, fut placée sur un lit d’herbes sèches auquel on mit le
feu selon les rites de son peuple.Un de ses compatriotes lui fait même
une statue…
LE FILM:
La première séquence de Vénus noire donne la mesure de la violence
et de la force tellurique du film d’Abdellatif Kechiche. Dans un
amphithéâtre, un homme exhibe à d’autres hommes le sexe d’une
femme. Ce geste pornographique est le fait d’une figure du panthéon
français, le naturaliste Georges Cuvier (François Marthouret). Il
montre les organes génitaux qu’il a détachés d’un cadavre féminin. La
lumière crue qui inonde l’amphithéâtre souligne l’obscénité du
vocabulaire zoologique appliqué à un être humain.
Abdellatif Kechiche s’apprête à raconter l’histoire de l’être qui habita
ce cadavre, la « Vénus hottentote ». Originaire de la colonie du Cap,
aujourd’hui province de l’Afrique du Sud, Saartjie Baartman, jeune
femme d’ethnie khoisan, fut exhibée en Europe de 1810 à sa mort en
1815, à Paris. Le moulage de son cadavre fut exposé au Musée de
l’homme, à Paris, jusqu’en 1974.
Effigie, au sens littéral du terme, de la condition dans laquelle
l’Occident a tenu la partie de l’humanité qu’il considérait inférieure,
Saartjie Baartman est devenue, après la chute du régime d’apartheid,
un symbole pour l’Afrique du Sud nouvelle, qui a demandé et obtenu
la restitution de ses restes.
Vénus noire raconte les cinq dernières années de cette odyssée
misérable. Kechiche procède par grands blocs de narration. Au risque
du malaise, chaque séquence va jusqu’au bout des actes et des pulsions
des personnages. C’est le meilleur moyen pour démêler l’écheveau de
racisme, de fantasmes, d’avidité, qui a fait le destin de Saartjie
Baartman.
La colère qui anime ce film terrible n’empêche pas la lucidité. Celle de
Kechiche d’abord, qui extrait de ce destin brisé une vision très claire
du moment où s’est formé le rapport des puissances coloniales au
reste du monde. La virulence du discours n’empêche pas la lucidité du
spectateur. C’est l’un des traits les plus singuliers de ce film que de
remettre en cause sans cesse (et sans ménagement) la place de ce
dernier.
Après l’exhibition scientifique, Kechiche revient cinq ans en arrière, à
-Piccadilly, où la Vénus hottentote est montrée dans un établissement
forain. Cette séquence déroule l’intégralité du spectacle monté à
l’intention du public populaire londonien. Caezar (Andre Jacobs), un
Afrikaner venu du Cap avec Saartjie, la fait passer pour une créature
semi-sauvage. Kechiche filme avec attention la résignation parfois
traversée de colère de la jeune femme, l’entrain forcé de Caezar et les
réactions de la foule.
Au lieu de procéder par plans brefs, qui constitueraient une galerie de
trognes, Kechiche et ses opérateurs (Lubomir Bakchev et Sofian El
Fani) s’attardent assez longtemps pour que l’on distingue les
compatissants et les voyeurs, les choqués et les effrayés.
Viendront ensuite les publics d’une salle d’audience (lorsqu’une
société anti-esclavagiste londonienne demande l’interdiction du
spectacle), d’un cabaret parisien, d’un salon libertin, du Muséum
d’histoire naturelle (où Saartjie Baartman fut examinée de son vivant
par Cuvier). A chaque station, les questions s’accumulent : suffit-il de
voir et de s’indigner pour acquitter sa dette à l’égard de la victime que
l’on montre ? Cette pornographie à alibi scientifique née autour des
attributs physiques de la jeune femme peut-elle être montrée sans
troubler ?
Ce qui ne veut pas dire que Kechiche se défausse de sa responsabilité
de metteur en scène. S’il a gardé sa façon de gérer le temps du film,
Vénus noire est mis en scène avec moins d’abandon que L’Esquive ou
La Graine et le mulet. La caméra traque toujours les visages, mais le
découpage est plus net. Le choc entre l’appareil du film d’époque (le
décor de Piccadilly est impressionnant) et l’image numérique, précise,
impitoyable, est fécond. Il donne à ces scènes survenues il y a deux
siècles une immédiateté douloureuse.
Dans ce grouillement du XIXe siècle filmé comme s’il survenait
aujourd’hui, les personnages vivent leur vie. Le projet originel du
réalisateur était de cueillir Sarah Baartman avant son départ
d’Afrique. Faute de moyens, on la découvre à Londres, déjà
alcoolique, en proie à une tristesse qui ne se dissipe que rarement. Ce
que Kechiche demande à la jeune Cubaine Yahima Torres va bien au-
delà du travail ordinaire d’une actrice. Etre à la fois la marionnette
que voient les foules et la femme qu’elle s’efforce de demeurer. Il faut
de l’abandon et de la force, de l’instinct et de l’intelligence. Yahima
Torres trouve tout ça ; si elle n’y était pas parvenue, Vénus noire
aurait sans doute été un film insupportable à regarder.
Les personnages qui l’entourent n’inspirent guère de sympathie, à la
possible exception de Caezar. Le comédien sud-africain Andre Jacob
en fait un maquignon retors mais pas dépourvu de sensibilité. Son
successeur, le Français Réaux (Olivier Gourmet) est un maquereau
sans conscience qui livre la pauvre Vénus à la libido de l’aristocratie
française.
Enfin, la dernière station de ce chemin mène Saartjie Baartman sous le
regard des scientifiques. C’est là que le plus grand mal est fait, dans
cette détermination « objective » de la hiérarchie entre humains.
François Marthouret, intense, monomaniaque, compose un savant fou
à force de raisonnements faussés. Et la résistance que lui oppose la
jeune femme fait entendre, très faible, très ténue, la voie de la raison.